"Nous, maires et conseillers municipaux et intercommunaux des banlieues, des centres anciens dégradés, des quartiers populaires des périphéries urbaines autant que des centres-bourgs ruraux, sommes tous des Stéphane Gatignon. Nous n'en pouvons plus." Au lendemain de l'annonce de la démission du maire de Sevran, le ton de Ville & Banlieue est des plus amers. Tout comme "l'un des nôtres a jeté l'éponge", écrit l'association ce mercredi 28 mars dans une tribune, "nombre d'entre nous sommes éreintés". Ereintés et découragés de ne plus avoir face à eux des interlocuteurs de l'Etat prêts à engager une négociation "constructive et respectueuse".
En novembre dernier, suite au discours de Tourcoing d'Emmanuel Macron, Ville & Banlieue faisait partie de tous ceux qui avaient exprimé leur satisfaction, saluant "une volonté de prendre en main les enjeux républicains de la politique de la ville". La météo a clairement changé. L'association semble ne pas avoir digéré la rencontre du 15 mars au ministère de la Cohésion des territoires, lors de laquelle les dix groupes de travail thématiques visant à la "co-construction de la feuille de route pour la politique de la ville" étaient invités à une première restitution de leurs propositions. On sait que de nombreux élus en étaient ressortis déçus. Suite à cela d'ailleurs, le Premier ministre organisait vendredi 23 mars un déplacement à Mulhouse dédié à la politique de la ville, visiblement pour réaffirmer l'intérêt du gouvernement pour ces sujets (un déplacement écourté du fait de l'attentat à Trèbes).
Ville & Banlieue écrit aujourd'hui : "Nous sommes pourtant des dizaines à travailler d'arrache-pied afin de répondre à l'invitation du président [de la République], délaissant chaque semaine nos communes pour participer à des groupes de travail dont les technocrates ministériels infléchissent et manipulent les conclusions. Nous avons aussi répondu avec enthousiasme et détermination à la sollicitation de M. Borloo d'accompagner de nos expertises sa mission de préconisations à formuler au chef de l'Etat."
L'association rappelle son exigence de "moyens budgétaires significatifs et immédiats pour la rénovation urbaine et l'accompagnement social, formatif, d'insertion professionnelle, sanitaire, culturel, préventif de la délinquance et des radicalisations, dont ont besoin les habitants de nos quartiers." Elle redit aussi que les villes comptant sur leur territoire des quartiers prioritaires (QPV) font face à des difficultés particulières qui justifieraient des dispositions dérogatoires dans le cadre de la contractualisation Etat-collectivités sur la maitrise des dépenses de fonctionnement. Elle a déjà saisi le gouvernement de cette question spécifique et a récemment sensibilisé ses adhérents là-dessus.
Dans l'attente du rapport que Jean-Louis Borloo doit remettre au chef de l'Etat, Ville & Banlieue souligne que "les toutes prochaines semaines seront cruciales" et que "les choix que fera M. Macron pour les sites populaires fragiles constituent l'ultime voie pour que se rétablisse - ou pas - la confiance."
Ce mercredi matin sur France Inter, le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, a d'une certaine façon abondé en ce sens, estimant que "le véritable enjeu pour notre pays ce sont ces quartiers". "On a beaucoup focalisé (...) sur le rural et l'urbain" mais "le vrai problème c'est les quartiers où un certain nombre de jeunes désespèrent", a-t-il ajouté.
Le "plan de la dernière chance"
Ce mercredi également, plusieurs élus de Seine-Saint-Denis ont eux aussi tiré la sonnette d'alarme, dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron. "Monsieur le Président, la rénovation urbaine en Seine-Saint-Denis est en danger" et pour la "sauver", le département "a besoin d'un soutien financier hors normes", affirme cette lettre signée notamment par le président du département, Stéphane Troussel, le président de Plaine Commune, Patrick Braouezec, et le maire d'Aulnay-sous-Bois, Bruno Beschizza.
Ils rappellent que la rénovation urbaine a été chiffrée à "3 milliards d'euros" pour leur département. Les bailleurs rencontrent aujourd'hui des "difficultés à boucler le financement", déplorent-ils, évoquant "la loi de finances 2018" et "la dégradation des financements de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine" (Anru).
Stéphane Gatignon était maire de Sevran, en Seine-Saint-Denis, depuis 2001. L'élu a fait part de sa démission lors du conseil municipal mardi soir, quelques heures après l'avoir annoncée dans une interview au Monde et au Parisien. "Je suis usé par la fonction et par les blocages qui viennent d'en haut", a-t-il dit à l'AFP. "Ca fait 17 ans que je suis maire. Il faut de la niaque, se battre. J'avais dit que quand je n'aurais plus de jus, j'arrêterais. Voilà, c'est le moment". "Il y a de plus en plus une vision de la banlieue qui est lointaine de la part des gouvernants", a-t-il regretté. Dans les quartiers, "on est à 30-35% de gens qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté", a-t-il rappelé, "pourtant les gens se battent, ça bosse, c'est la démerde, mais ça peut pas continuer comme ça. Il faut avancer". "Ce qui se passe en banlieue, ce monde parallèle, il arrange beaucoup de gens, a-t-il ajouté, "ça ne peut pas durer".
Mardi soir, le hastag #noussommestousGatignon, était apparu sur les réseaux sociaux, tweeté par Philippe Rio, maire PCF de Grigny (Essonne) et Catherine Arenou, maire LR de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines).
Les mandats de Stéphane Gatignon ont été marqués par plusieurs coups d'éclat. Ardent défenseur de la dépénalisation du cannabis, il avait réclamé en 2011 l'intervention de l'armée pour rétablir la sécurité dans sa ville, après une série d'homicides liés au trafic de drogue. Un an plus tard, il avait fait une grève de la faim devant l'Assemblée nationale pour obtenir une revalorisation de la dotation de solidarité urbaine (DSU).
Il a tour à tour été engagé au Parti communiste, puis à Europe Ecologie, qu'il avait quitté en 2015, pour rallier le mouvement Ecologistes!. Il a soutenu Emmanuel Macron pour la présidentielle 2017.
Stéphane Gatignon dit attendre le "plan de bataille" qui doit être lancé suite à la remise du rapport de Jean-Louis Borloo comme le "plan de la dernière chance".
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