Un an après le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt - qui avait vu un véritable flot d'amendements pour inscrire les boissons alcoolisées les plus improbables mais "issues des traditions locales" au "patrimoine culturel, gastronomique et paysager de la France" (voir nos articles ci-contre des 8 et 9 juillet et du 11 septembre 2014) - le débat fait un retour spectaculaire à l'Assemblée nationale, dans le cadre de l'examen en commission des affaires sociales - après échec de la commission mixte paritaire - du projet de loi relatif à la santé.
Une demi-surprise
Lors de l'examen du texte au Sénat, en septembre dernier, l'opposition avait fait adopter un amendement assouplissant la loi Evin du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme. Mais, après l'échec de la CMP, il semblait entendu que l'amendement en question serait écarté par les députés.
Catherine Lemorton, présidente (PS) de la commission des affaires sociales, a donc déposé un amendement (n°AS 277, sur l'article 4 ter) supprimant cet article introduit par le Sénat. Un amendement plutôt maladroit puisque, au lieu de rappeler quelques chiffres sur les ravages de l'alcool et son coût pour la collectivité, l'exposé des motifs se contente d'une phrase pour affirmer qu'"il n'est pas opportun de modifier les équilibres instaurés par la loi Evin, au regard des impératifs liés à la prévention de l'alcoolisme".
Mais les membres de la commission des affaires sociales ont voté contre leur présidente et rejeté l'amendement de suppression. Si le vote des députés Les Républicains et UDI est cohérent avec la position du Sénat, la surprise est venue d'une majorité de députés socialistes, qui ont également refusé de voter l'amendement. Une surprise toutefois très relative, puisque plusieurs sénateurs PS avaient également voté l'amendement concerné. Par ailleurs, un amendement similaire avait été adopté dans le cadre du projet de loi Macron 1, mais l'article avait été censuré par le Conseil constitutionnel.
"Information œnologique" ou publicité ?
L'argument avancé est toujours le même : assouplir la loi Evin pour mieux distinguer entre publicité et "information œnologique", favoriser le développement de l'oenotourisme ou encore préserver un "patrimoine national". Des arguments récurrents, mais qui ne résistent pas pour autant à l'examen. Rien ne s'oppose en effet au développement de l'oenotourisme, qui se porte fort bien (voir notre article ci-contre du 7 juin 2013). Côté patrimoine, la France vient de faire inscrire - après la juridiction de Saint-Emilion en 1999 - les "coteaux, maisons et caves de Champagne" et les "climats du vignoble de Bourgogne" au patrimoine mondial de l'Unesco (voir notre article ci-contre du 7 juillet 2015). Et il suffit de constater l'épaisseur des dossiers consacrés chaque année aux foires aux vins par tous les hebdomadaires nationaux pour se rendre compte que "l'information œnologique" n'a pas vraiment l'air de souffrir d'une quelconque censure.
En réalité, personne n'est, bien sûr, dupe de ces amendements à répétition : derrière l'antienne patrimoniale, il s'agit - malgré les enjeux évidents de santé publique - de libéraliser la publicité pour l'alcool et plus particulièrement pour le vin, en recourant à des formes plus subtiles que l'affichage 4x3 ou les spots télévisés.
Le lobbying des régions viticoles davantage reçu au Parlement
Le passage en force de l'amendement - qui a de fortes chances de se renouveler en séance publique - a néanmoins laissé des traces. Catherine Lemorton a ainsi affirmé que "les associations défendant les régions viticoles ont été plus reçues" par certains députés que celles luttant contre les addictions. Sur la chaîne parlementaire (LCP), la présidente de la commission des affaires sociales a également accusé le président du groupe socialiste, Bruno Le Roux, de lui "savonner la planche" en ayant favorisé l'adoption de la mesure, ajoutant que "même Manuel (Valls) m'a un peu savonné la planche" en indiquant que cet assouplissement trouverait un véhicule parlementaire.
De son côté Marisol Touraine n'a jamais caché - comme tous ses prédécesseurs en charge de la santé - son hostilité à une remise en cause de l'équilibre de la loi Evin. Mais rien ne dit qu'elle sera entendue en séance publique.
Jean-Noël Escudié / PCA
Référence : projet de loi relatif à la santé, examiné en séance publique à l'Assemblée nationale après échec de la CMP, du 16 au 20 novembre 2015.
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