Arnaud Montebourg ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique, et Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat chargée du numérique, étaient entendus le 3 juin par la commission des affaires économique du Sénat. Cette audition visait clarifier les inquiétudes manifestées par les élus sur l'avenir du Plan national très haut débit à la suite d'une série d'événements – rachat de SFR, doute sur la mobilisation du Feder, réforme territoriale - susceptibles de menacer la poursuite du Plan. Les représentants du gouvernement ont apporté assez peu de précisions mais se sont surtout attachés à rassurer les sénateurs.
Depuis quelques semaines, des doutes sur la bonne poursuite du Plan France Très haut débit sont en effet permis. Le rachat de SFR par Numéricable a redistribué les cartes du côté des investisseurs privés et menace les engagements pris en matière d'investissement, notamment sur les territoires câblés de la zone AMII. Il pose également la question du statut de la nouvelle entité, alors que Numéricable est encore soumis à une réglementation plus souple que celle des autres opérateurs.
Plus globalement, la diminution des marges des opérateurs inquiète. Leur capacité à investir est mise en question et suggère un éventuel soutien financier de la part d'investisseurs de long terme intéressés par le Plan Français (voir ci-contre notre interview d'Antoine Darodes du 19 mai).
Le deuxième motif d'inquiétude est relatif aux financements publics mobilisés. Yves Rome sénateur et président de l'Avicca, a demandé confirmation des subventions FSN (Fonds national pour la société numérique) engagées au delà des 900 millions prévus initialement. En effet, l'Etat n'a pas encore donné de signes "budgétaires" confirmant l'inscription des 2,4 milliards restants. L'autre inquiétude provient du risque de non éligibilité des fonds Feder aux investissements sur le THD, ce qui pourrait représenter un manque à gagner difficile à compenser en cas de confirmation.
Le troisième point concerne les évolutions de la réforme territoriale. "Elles inquiètent les collectivités ayant déjà mobilisé des fonds significatifs, alors que les départements sont appelés à disparaître, que la carte des régions va être bouleversée et que les intercommunalités sont également appelées à de nouvelles transformations" a fait également remarquer Yves Rome.
Sans écarter les difficultés, Arnaud Montebourg et Axelle Lemaire ont rappelé le sens de leur action et apporté quelques précisions sur un dossier qui semble encore très largement en chantier.
Réorganisation du marché
Le gouvernement a été pris de court par la redistribution des cartes au niveau industriel. Arnaud Montebourg l'a reconnu lui même lors de l'audition : "Nous n'avons pas résorbé les effets de nature sismique de l'arrivée d'un nouvel opérateur dont les conséquences n'ont pas été anticipées", a-t-il indiqué. Mais le gouvernement semble désormais mobilisé sur deux fronts.
Le premier vise à combattre le principe de la concurrence par les infrastructures ou du moins, à défaut de le faire disparaître, souhaite en infléchir les effets "au bénéfice des usagers et non au détriment des engagements d'investissement des opérateurs", a précisé le ministre. Il s'agit d'éviter le gaspillage de moyens, les doublons et notamment ceux qui risquent d'apparaître dans les zones câblées. Mais une révision de la réglementation sera nécessaire, afin de placer les acteurs sur un pied d'égalité.
L'autre front concerne plutôt "le bon équilibre à trouver sur le secteur industriel". Le passage obligé serait le retour à trois opérateurs. Le ministre l'a laissé entendre à plusieurs reprises, selon lui pour la bonne cause : "Lorsque nous allons consolider à trois, cela donnera de la force aux opérateurs. En contrepartie, nous leur demanderons de pousser leurs limites (…), d'être nos investisseurs d'intérêt général afin d'éviter les doublons, d'optimiser les réseaux câblés existants et de faire en sorte que chacun se répartisse une partie de la charge…". Pour cela, il compte s'appuyer sur l'avis du Conseil de la concurrence sur la mutualisation des infrastructures.
Le ministre n'a pas caché non plus les obstacles à lever pour atteindre l'équilibre souhaité, obstacles notamment relatifs au statut de Numéricable : "Nous avons encore à décortiquer les problèmes de concurrence sur le câble, pour que ceux qui n'y ont pas accès (les opérateurs) puissent le faire". Il a énuméré les points encore en suspens, comme la dette, les technologies, la concurrence, et a considéré que les questions étaient "plutôt devant nous que derrière nous".
Soutien aux opérateurs
L'autre élément de déblocage de l'investissement privé pourrait reposer sur "la constitution de montages avec des investisseurs de long terme pour accompagner l'accélération de l'investissement des opérateurs", a confirmé de son côté Axelle Lemaire. On sait que depuis le début de l'année, le gouvernement recherche des solutions spécifiques sur la fibre pour apporter un ballon d'oxygène soit à tous les opérateurs rassemblés, soit à un seul (en l'occurrence Orange). Selon nos informations, le principe consisterait à mettre en place un Fonds commun de créances (Special purpose vehicle) associant des investisseurs de long terme français et étrangers afin de permettre aux opérateurs de déconsolider une partie de leur dette. Mais pour l'instant, les négociations se poursuivent.
Garanties apportées sur les aides publiques (FSN, Feder)
Après avoir formellement confirmé l'engagement du gouvernement sur les 3,3 milliards de subventions prévues dans le cadre du FSN, Axelle Lemaire a répondu aux interrogations d'Yves Rome : "Je m'assurerai que cet engagement soit tenu et lisible rapidement au plan budgétaire", a-t-elle déclaré. Selon nos informations, le gouvernement aurait bien acté la réaffectation d'un fonds de 700 millions d'euros non utilisé au sein du FSN. Mais une loi de finances rectificative sera nécessaire. Or dans sa réponse, Axelle Lemaire n'a pas indiqué si l'inscription au budget serait passée dans la loi de finances rectificative prévue en juin (ce qui au demeurant alourdirait le déficit de la France) ou dans le projet de loi de finances de l'automne prochain.
Quant au Feder, la ministre a confirmé "le rôle essentiel de l'engagement qui vient de l'Europe pour la mise en œuvre du Plan français". Elle s'est voulue rassurante, mais sans donner de garanties formelles : "La décision devrait nous être favorable sans que je sois à ce jour en mesure de la confirmer". Rappelons que l'engagement européen devrait représenter 600 millions d'euros sur sept ans, soit environ 10% des aides publiques prévues pour le Plan. Il serait difficilement imaginable politiquement que l'Europe ne soit pas présente sur un chantier de cette nature et de cette ampleur.
Impact de la réforme territoriale
"Le plan a su s'adapter aux changements institutionnels de ces dernières années et nous ferons le nécessaire pour que cela continue", a assuré la ministre déléguée. Néanmoins, considérant que le principe de "non sécabilité des compétences" avait été confirmé dans les textes sur la décentralisation, les territoires qui ont séparé l'exploitation des réseaux de la construction des réseaux, pourront néanmoins poursuivre leur activité. En effet, les syndicats mixtes ouverts (SMO) généralement utilisés pour de tels montages feront exception à la règle : "Lorsqu'une région ou un département seront membre d'un SMO, celui-ci pourra recevoir une délégation de tout ou partie de la compétence." Reste toutefois à faire entériner cette disposition par le Parlement.
Afin de marquer les esprits sur l'invariabilité souhaitée par le gouvernement, Arnaud Montebourg a résumé la situation en ces termes : "Nous avons notre cap, le chemin, nos moyens, c'est pourquoi la marche en avant des réformes et les changements de toute nature ne doivent pas perturber cet objectif, c'est une mobilisation nationale et la compétitivité du pays qui sont en jeu, aussi nous prendrons les moyens nécessaires pour ne pas se démobiliser."
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