L’Assemblée nationale a largement adopté, ce 6 avril, à 115 voix pour et 9 contre, la proposition de loi visant à mieux indemniser les dégâts causés par le retrait-gonflement des argiles (RAG), élaborée à la suite d’un rapport corédigé par Sandrine Rousseau présenté fin mars. Un texte miraculé compte tenu du maigre bilan de la niche parlementaire réservée aux propositions des députés écologistes (voir encadré ci-dessous).
Dans l'hémicycle, la députée a décrit le "cauchemar" des sinistrés, dont les maisons se fissurent, et l’ampleur qu’est en train de prendre le phénomène de retrait-gonflement des argiles dans un contexte de réchauffement climatique : "10,5 millions de maisons se trouvent en France dans une zone d'exposition au 'risque sécheresse'." Le texte, qui entreprend de réformer les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour améliorer le taux d’éligibilité, a fait consensus auprès des députés d’opposition LR, Liot et RN, qui ont voté en sa faveur, tandis que ceux du camp présidentiel se sont abstenus pour la plupart. L’objectif est jugé louable mais la majorité y voit un problème de méthode.
"Il n’est pas raisonnable de créer de la confusion et d’ajouter de l’arbitraire en figeant dans la loi des critères qui ont vocation à évoluer et qui méritent donc d’être fixés par voie réglementaire", s’est expliqué Jean-Noël Barrot, le ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications. L’exécutif s’est engagé à les assouplir par décret lors de l’adoption de l’ordonnance du 8 février 2023 prise en habilitation de la loi 3DS (lire notre article du 9 février 2023) et une circulaire devrait également suivre "avant l’été" pour garantir la flexibilité des mesures.
Autre sujet d'inquiétude : la proposition "n’est pas tout à fait financée" et l’impact du texte "ne serait pas indolore pour les assurés, sur lesquels elle ferait au contraire peser une charge additionnelle immédiate que le gouvernement a chiffrée à 1 milliard par an", ajoute-t-il. Autrement dit, le texte "se retournerait alors contre ceux qui auraient dû en être les bénéficiaires". La députée Renaissance Sandra Marsaud, cosignataire du rapport avec Sandrine Rousseau, a regretté la "précipitation" de sa collègue "sur un sujet aussi complexe", pointant les "contradictions et imprécisions" du texte, au risque de "créer de l’insécurité juridique" pour les sinistrés.
Une "période de retour" réduite à dix ans
L’article 1er de la proposition vise à graver dans le marbre de la loi une méthodologie adaptée à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle de sécheresse. Celle-ci doit se fonder sur un critère de variation de l’humidité des sols mesurée sur le terrain. Il diminue également sensiblement la "période de retour", l’un des principaux problèmes. Aujourd’hui, pour que la sécheresse soit caractérisée, l’indicateur d’humidité des sols doit être l’un des deux plus bas sur les cinquante dernières années, soit une période de retour de vingt-cinq ans. La texte adopté par l’Assemblée la ramène à dix ans. Il dispose également que la durée d’application de l'arrêté de catastrophe naturelle pris en cas de sécheresse est "de douze mois". Un point important, car les fissures découlant du RGA peuvent se manifester bien après la période de sécheresse elle-même. La proposition ajoutait que lorsqu’une catastrophe naturelle de sécheresse est constatée sur une "maille géographique", l’ensemble de la commune concernée est reconnue en état de catastrophe naturelle. Cette précision a toutefois été supprimée par un amendement LR de réécriture d'une partie de l’article 1er.
Le texte (art. 1er A) améliore aussi l’information des communes et des sinistrés en cas de refus de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle en imposant une motivation de la décision "de façon claire, détaillée et compréhensible", notamment par la communication des rapports d’expertise ayant fondé la décision. Plusieurs amendements LR ont introduit des articles additionnels. Un nouvel article 1er bis prévoit ainsi que siègent "deux maires de petites communes" parmi les élus locaux, au sein de la Commission nationale consultative des catastrophes naturelles, qui rend chaque année un avis sur la pertinence des critères retenus et sur les conditions effectives de l’indemnisation des sinistrés.
Un article 1er ter nouveau prévoit que le référent à la gestion des conséquences des catastrophes naturelles soit chargé d’élaborer des supports de communication afin de permettre aux élus locaux d’expliquer à leurs administrés les étapes de la procédure. Les élus socialistes ont quant eux introduit un article 1er quater pour assurer que les frais de contre-expertise, si l'assuré en demande une, soient supportés par l’assureur. Un nouvel article 1er quinquies renforce en outre l’indépendance de l’expert. Il affirme également la responsabilité de chaque acteur concourant à la gestion du sinistre pendant dix ans à compter de la réception des travaux.
Présomption de causalité
L’axe principal du texte consiste à instaurer un rapport de force favorable aux assurés, en inversant la charge de la preuve du lien entre le dommage constaté et le RGA. Le coeur de la proposition réside donc dans son article 2 qui instaure une présomption simple de causalité. Afin de s’assurer que l’analyse de l’expert est complète, le texte lui impose de réaliser une étude de sols vérifiant que les fondations des constructions sont adaptées aux caractéristiques du sol. L'expertise peut également être demandée par l’assuré "avec une prise en charge par l’assureur", précise un amendement défendu par Richard Ramos (Modem).
Le texte (art. 2 bis) revient par ailleurs sur l’une des dispositions de l’ordonnance du 8 février 2023 limitant l’utilisation de l’indemnité perçue par l’assuré à la réparation du seul bâti ayant subi des dommages. L'assuré pourrait à l'avenir également l’utiliser "pour acquérir ou faire construire un nouveau logement".
Enfin, la proposition contient de très nombreuses demandes de rapports. Les députés ont en d'ailleurs allongé la liste pour prévoir entre autres un rapport évaluant les possibilités de perfectionner le critère météorologique nécessaire à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour le phénomène de RGA (nouvel art. 2 octies). Il s’agira aussi dans un autre rapport (art. 2 nonies) d’avoir un retour sur les modalités de mise en œuvre de l’article 1er de façon à améliorer le taux de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle "par une analyse sur site, et non par mailles, et adaptée au phénomène d’alternance entre des épisodes de sécheresse et de réhydratation dans un temps long".
Sans réelle surprise les écologistes ont essuyé une série de revers, lors de la journée réservée à leurs propositions. La quasi-totalité des textes inscrits ont débouché sur une voie sans issue. Ils avaient d’ailleurs pour la plupart été rejetés ou détricotés en commission, laissant peu d’illusion sur leurs chances de succès dans l’hémicycle. "Il n'y aucune nouvelle méthode du gouvernement, il continue à rejeter absolument tout ce qui ne vient pas de lui", s’est agacée la cheffe de file des députés écologistes, Cyrielle Chatelain. Face au blocage dans les rangs Renaissance, LR et RN, le groupe s’était notamment résigné, la veille, à retirer sa proposition de loi relative à l’interdiction de toute forme de publicité numérique et lumineuse dans l’espace public. Les écologistes ont également échoué à faire adopter leur proposition de prime alimentaire d'au moins 50 euros par mois et par personne pour aider les plus précaires. Le gouvernement a d’emblée repris la main pour soutenir des expérimentations locales de chèques alimentaires durables - une promesse d'Emmanuel Macron qui tarde à se concrétiser - grâce aux crédits du programme "Mieux manger pour tous", doté pour 2023 de 60 millions d’euros en amorçage (lire notre article du 3 novembre 2022). "Concéder 2 euros par personne et par an pour répondre à l’urgence de l’insécurité alimentaire, comme le propose la majorité, est tout simplement indécent !", s'est indigné le groupe écologiste. Avant le rejet final du texte dans sa globalité, par 138 voix contre 121, les élus ont cru un temps pouvoir sauver les meubles après l’adoption d’amendements de la gauche, contre l’avis de l’exécutif, et avec le soutien notamment du RN. L'un, déposé par les communistes, créait un "panier inflation" pour les produits agricoles et alimentaires avec des prix "fixés". L'autre, venant des rangs LFI, permettait d’élargir à l'ensemble du territoire un "bouclier qualité-prix" en vigueur dans les outre-mer pour les produits alimentaires et d'hygiène indispensables. Deux autres volets du texte, l’option végétarienne dans les cantines scolaires et l'interdiction de nitrites dans les charcuteries en 2024, avaient été vidés de leur substance dès le passage en commission. "Malgré l’existence d’éléments scientifiques robustes relatifs aux risques de cancer, qui plaident pour l’interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie, le gouvernement semble avoir adopté une stratégie de fuite, remettant sans cesse à plus tard l’interdiction ferme", a regretté la rapporteure Francesca Pasquini, critiquant le manque d’ambition du nouveau plan d’action, dévoilé le 27 mars sur le site du ministère de l’Agriculture, qui se borne à définir une trajectoire en trois phases pour en réduire les doses dans les aliments. L’élu Modem Richard Ramos, qui en a fait son cheval de bataille, avait pourtant réussi à convaincre l’hémicycle en proposant une interdiction différée des additifs nitrés en 2027. "Les nitrites tuent les Français, et ça tue les plus pauvres", a-t-il martelé, fustigeant "les lobbyistes qui essaient de nous dire qu’il faut diminuer la dose". Le texte visant à interdire la chasse le dimanche, situé en dernière position dans l’ordre du jour de la niche, n’aura tout bonnement pas pu être débattu, la séance s’achevant à minuit. La proposition de loi visant à interdire les vols en jets privés en a aussi fait les frais, la discussion débutée dans la soirée n’ayant pu aller jusqu’à son terme. Le texte avait en réalité perdu sa raison d’être suite à la suppression de l’article 1er qui en contenait la proposition phare. Hostile à l’interdiction, le ministre des Transports, Clément Beaune, a de son côté mis en perspective de nouvelles modalités de l'écocontribution de l'aviation commerciale privée dans le prochain budget de l’État pour 2024. "Je ne propose pas l’inaction mais la régulation, notamment européenne", a-t-il insisté. |
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