"Sécurité : le Premier ministre garde la direction, mais appuie sur l'accélérateur", écrivions-nous fin juillet. Depuis, il n'a pas levé le pied. Après avoir annoncé le lancement à Nice d'une expérimentation visant notamment l'élargissement des compétences de certaines polices municipales, Jean Castex a donné vie à Toulouse à un nouveau "contrat de sécurité intégrée" (voir par ailleurs dans notre édition du jour l'entretien avec Roger Vicot, président du Forum français pour la sécurité urbaine) et relancé les suites du rapport Fauvergue-Thourot. Sans compter l'annonce de la prochaine publication du livre blanc sur la sécurité intérieure, qui avait jusqu'ici du mal à s'extraire des cartons. Une accélération qui donne le tournis voire, pour les plus critiques, le sentiment d'une certaine précipitation. À tout le moins, un rythme que d'aucuns peinent à suivre. Il est vrai que les derniers événements – "banalisation de la violence", agressions des élus, attaque du commissariat de Champigny-sur-Marne, sans évoquer depuis l'acte barbare commis contre Samuel Paty – ne poussent guère à la temporisation.
Le rapport Fauvergue-Thourot sort – en partie et non sans mal – des limbes
Après avoir été laissé lettre morte depuis sa remise au gouvernement il y a désormais plus de deux ans, le rapport Fauvergue-Thourot semble enfin voué à sortir des limbes. En partie seulement.
Sans doute lassés de cette inertie, ses auteurs, rejoints par l'ensemble des députés du groupe LREM, avaient fini par déposer une proposition de loi début janvier pour graver certaines de ses préconisations dans le marbre législatif. Sans plus de résultat, jusqu'à ce que le ministre de l'Intérieur lui donne un feu vert officiel, d'abord lors d'une audition à l'Assemblée le 28 juillet, puis au cours d'une session de questions au gouvernement le 29 septembre dernier. Un assentiment confirmé depuis par le Premier ministre à Toulouse le 9 octobre, puis sur France info le 12 octobre : "Nous allons revoir le rôle des polices municipales, et les renforcer : il y a la question de l'armement, mais il y a aussi la question de leurs prérogatives en matière de constatation d'infraction. Une proposition de loi menée par deux députés sera examinée prochainement par l'Assemblée nationale et c'est dans ce cadre que nous allons agir."
C'est toutefois une nouvelle version du texte qui sera soumise aux parlementaires, puisque la proposition initiale a été retirée par Alice Thourot le 14 octobre pour être à nouveau déposée, modifiée. Le nouveau texte, dont on a claironné ici ou là le dépôt le 15 octobre, a toutefois tardé à parvenir à la présidence de l'Assemblée, où elle n'a été enregistrée qu'hier, 20 octobre. Ironie du sort, le jour même de la publication par la Cour des comptes d'un rapport thématique consacré… aux polices municipales, qui invite notamment à renforcer l'évaluation et le contrôle de ces dernières alors que certaines "tendent à s'assimiler aux forces nationales".
Morceau à quatre mains, véhicule des expérimentations annoncées
Jusqu'à la dernière minute, le texte aura fait l'objet de modifications, comme en témoignent certaines scories rédactionnelles. Au bureau d'Alice Thourot (qui n'a pu répondre à nos sollicitations), on reconnaît d'ailleurs que l'on s'y perdait un peu entre les différentes versions d'un texte… écrit à quatre mains avec le gouvernement. Ce texte hybride donc – mi-proposition, mi-projet de loi, ce qui permet notamment de s'affranchir de l'étude d'impact et de l'avis du Conseil d'État… – reprend à la fois plusieurs dispositions de la proposition initiale (à l'exception notamment de celles concernant les ASVP et gardes champêtres, qui ont disparu de la circulation) et se voit renforcé par des mesures annoncées par le gouvernement au cours des dernières semaines (il contient en outre de nombreuses dispositions relatives à la sécurité privée, non évoquées ici).
L'exposé des motifs souligne ainsi que la proposition crée "le cadre juridique de l'expérimentation annoncée par le Premier ministre lors de son discours de Nice, le 25 juillet". Et réaffirmé depuis. Le "contrat de sécurité intégrée" toulousain (en téléchargement ci-dessous) stipule ainsi que "sous réserve des évolutions législatives nécessaires, l'État s'engage à accepter l'expérimentation par la police municipale de Toulouse de nouvelles compétences".
Concrètement, les communes employant au moins vingt agents de police municipale dont au moins un directeur de police municipale ou un chef de service de police municipale pourraient demander à ce que leurs agents de police municipale exercent, pendant trois ans, certaines compétences de police judiciaire. Sans aller jusqu'à confier à certains agents les compétences d'un agent de police judiciaire, comme l'a proposé en juillet la députée – et conseillère municipale de Nice – Marine Brenier (LR). Un pouvoir, circonscrit, de saisie sur la voie publique serait octroyé, de même que la possibilité de participer à la sécurisation de manifestations sportives, récréatives ou culturelles, sans critère de seuil. La liste des infractions que les agents peuvent constater serait en outre étendue à la vente à la sauvette, la conduite sans permis ou sans assurance, les squats de halls d'immeubles, l'usage de stupéfiants (et donc recours à l'amende forfaitaire), l'introduction illégale dans un local appartenant à la commune, l'occupation illégale d'un terrain communal, la destruction, dégradation ou détérioration d'un bien (inclus les tags), mais aussi contraventions relatives aux débits de boissons, à la lutte contre l’alcoolisme, à la répression de l’ivresse publique et à la protection des mineurs. Pour ce faire, les agents pourront désormais relever l'identité des auteurs de ces délits pour dresser procès-verbal, qui pourra en outre comporter les déclarations spontanées des contrevenants.
Contrairement à ce qu'indiquait le Premier ministre, le texte ne reprend finalement pas la question de l'armement des policiers municipaux, sujet déjà écarté de la proposition de loi initiale. De même, nulle trace de la création d'une école nationale de la police municipale (idée déjà retoquée par Beauvau lors de l'élaboration de la proposition de janvier, guère en cour auprès du CNFPT…) ou de l'accès aux fichiers, propositions pourtant de nouveau promues par le rapport Fauvergue-Naegelen de juillet 2019.
Police municipale à Paris, tensions à venir sur les recrutements
Sans surprise, vu les récentes déclarations de Gérald Darmanin à l'Assemblée, la proposition prévoit également la création d'une police municipale à Paris. La mesure, dernièrement objet d'un amendement au projet de loi Engagement et proximité, avait été rejetée en novembre dernier. Mais les élections municipales désormais passées, elle devrait cette fois prospérer, puisque réclamée à gauche comme à droite, portée par la conjoncture et… les prochains Jeux olympiques, l'État pouvant difficilement refuser un tel renfort. Des corps spécifiques seraient créés et les agents seraient formés par la ville (des dispenses sont prévues pour la constitution initiale de ces corps). Ces agents ne pourraient constater que les contraventions aux arrêtés de police du préfet de police relatifs au bon ordre, à la salubrité, à la sécurité et la tranquillité publiques.
Cette création ne manquera pas d'aviver les tensions sur les recrutements, alors que les candidats manquent déjà d'autant plus à l'appel que les promesses de nouveaux effectifs ont constitué dans de nombreuses villes l'un des premiers arguments électoraux des dernières municipales. De quoi mettre à mal le constat de la Cour des comptes selon lequel l'essor des polices municipales serait "plus qualitatif que quantitatif". La proposition encourage par ailleurs la montée en puissance de l'échelon intercommunal et facilite les mises en commun de policiers municipaux.
Réactions aux derniers événements
La proposition accueille par ailleurs plusieurs dispositions visant à répondre aux récents événements.
Elle dispose l'interdiction de l'achat et de la vente des articles pyrotechniques, souhaitée par le ministre de l'Intérieur à la suite de l'assaut du commissariat de Champigny-sur-Marne le 10 octobre dernier. Une interdiction des mortiers d'artifice déjà envisagée par Christophe Castaner en novembre dernier, après l'incendie de l'école du cirque de Chanteloup-les-Vignes. La mesure devait faire à l'époque l'objet d'une "analyse juridique", jamais communiquée.
Elle intègre les promesses faites par l'Élysée le 15 octobre dernier lors de la réception des syndicats de police : limitation des réductions de peine pour les personnes coupables d'infractions au préjudice d'élus, de policiers nationaux et de gendarmes ou de sapeurs-pompiers (les policiers municipaux n'étant étrangement pas concernés) et prohibition de la diffusion malveillante des images des forces de l'ordre en intervention – mesure rejoignant la proposition de loi du député Éric Ciotti récemment déposée.
Elle crée également le cadre juridique de captation d'images par drones, "aujourd'hui pratiquée en l'absence de cadre clair". Les services de l'État (sécurité intérieure et défense nationale) pourraient y recourir, de manière non permanente, aux fins d'assurer la sécurité des rassemblements, en cas de crainte de troubles graves à l'ordre public, la prévention d'actes terroristes, les constats d'infractions et la poursuite de leurs auteurs, la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords, les installations utiles à la défense nationale, la régulation des flux de transport, la surveillance des littoraux et zones frontalières et le secours aux personnes. Et les services de sécurité civile pour la prévention des risques naturels ou technologiques, le secours aux personnes et la défense contre l'incendie.
Elle revoit le régime de la vidéoprotection, en permettant aux agents de police municipale de visionner et d'être destinataires des images des systèmes installés sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public dont les enregistrements sont utilisés dans des traitements automatisés ou contenus dans des fichiers structurés. Elle adapte le régime des caméras individuelles de la police nationale et de la gendarmerie nationale. Elle simplifie encore les modalités de contrôle d'alcoolémie au volant par les forces de l'ordre.
Livre blanc sur la sécurité intérieure à l'approche
Le même mouvement d'accélération subite va également affecter le livre blanc sur la sécurité intérieure, qui tardait jusqu'ici à éclore. Sa présentation, annoncée par Gérald Darmanin pour "début 2021" lors de son audition à l'Assemblée nationale le 28 juillet, devrait finalement avoir lieu courant novembre. La proposition de loi Fauvergue-Thourot devrait être elle examinée "dès la semaine du 2 novembre en commission", indique un communiqué de presse des députés LREM.
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