les "rgions automobiles" avancent ttons

August 2024 · 8 minute read


Une certitude et beaucoup d’inconnues. Ainsi se résume pour l’heure la transition écologique pour les "régions automobiles" de l’Union européenne – une industrie qui "génère 7% du PIB de l’Union et emploie 13,8 millions de personnes", souligne Emil Boc, président de la commission Coter du Comité européen des régions. La certitude, c’est d’être durement frappé par l’électrification à marche forcée du parc automobile européen, avec en tête l’interdiction de la vente de véhicules légers neufs à moteur thermique à compter de 2035. Parmi les inconnues, figurent le rythme et l’ampleur du choc, ou encore la capacité à y faire face. Pour tenter de dissiper quelque peu le flou, l’Alliance des régions automobiles, créée sous l’égide du Comité des régions (v. notre article du 4 juillet 2022), organisait le 22 mai dernier un séminaire afin d’étudier comment les régions concernées pourraient suivre au plus près le phénomène et ses effets.

Cinq indicateurs insuffisamment éclairants

En décembre 2022, le commissaire Thierry Breton avait bien lancé une "plate-forme Route 35" définissant cinq "indicateurs clés de performance" pour mesurer les progrès sur la route de la décarbonation de l’industrie automobile : l’infrastructure de recharge publique ; la capacité de production d’électricité pour alimenter ce réseau ; les matières premières, singulièrement celles nécessaires aux batteries ; les emplois et l’ "abordabilité" des véhicules électriques, entendre la capacité des Européens à les acheter.

Cinq indicateurs malheureusement jugés insuffisamment éclairants par Maria Rodrigues, présentant les conclusions d’une étude réalisée par l’entreprise Panteia pour le Comité des régions sur le sujet. D’abord parce "qu’il existe assez peu d’initiatives régionales produisant des statistiques locales au regard de ces cinq indicateurs". Si 12 régions (sur 27 interrogées) ont mis en place un système de suivi, ce dernier porte principalement sur l’infrastructure de recharge et sur l’emploi. Il n’existe en revanche quasiment pas de données sur la capacité d’alimenter le réseau, la disponibilité des matières premières et sur l’ "abordabilité", relève l’experte. Ensuite parce que les régions déplorent l’absence d’autres indicateurs qui seraient davantage pertinents à leur échelle pour appréhender cette transition et ses impacts. Comment les entreprises concernées sont-elles affectées et comment se restructurent-elles ? Comment le marché local du travail réagit-il ? Comment l’éco-système de la formation s’organise-t-il pour accompagner les nouveaux secteurs en croissance ? Comment les citoyens perçoivent-ils cette transition et leur place dans ce processus ? Autant de questions jugées prioritaires par les régions, mais qui restent pour l’heure plutôt sans réponse.

L’étude préconise en conséquence d’établir un programme de suivi mieux adapté aux besoins des régions concernées. Un défi, puisque cela nécessite que ces dernières coopèrent et se coordonnent pour s’accorder sur les indicateurs à retenir, mais aussi sur la façon de mesurer et de collecter les données, avertit l’étude. Laquelle révèle par ailleurs que plusieurs régions interrogées doutent d’avoir les moyens humains et financiers de conduire un tel projet. Certaines s’y emploient néanmoins, comme la Thuringe et le Bade-Wurtemberg en Allemagne ou la Castille-et-León en Espagne, communauté qui a par exemple mis en place un conseil régional de l’automobile à cette fin.

Trois défis effrayants

Pour Tommaso Pardi, directeur du réseau international de l’automobile Gerpisa, un tel poste d’observation est pourtant fondamental. Notamment pour "donner l’alerte", alors qu’il voit grossir au large une vague qui ne semble pour l’heure "pas si effrayante que cela", mais qui pourrait bien verser dans le "tsunami" au regard des trois grands défis auxquels sont confrontées selon lui les régions automobiles de l’Union. 

Premier d’entre eux, "des milliers de fermetures d’entreprises et des milliers de pertes d’emplois" qui s’annoncent. Et ce, "même dans le meilleur des cas où une région serait capable de substituer moteur et batteries électriques aux moteurs à combustion. Tout simplement parce que pour faire des moteurs électriques, vous avez besoin de beaucoup moins d’éléments, donc moins d’entreprises et d’ouvriers", explique-t-il. Un problème qu’il juge d’autant "plus épineux que les petites entreprises sont beaucoup plus exposées que les grandes, et que les grandes régions seront plus à même d’attirer les investissements que les petites. L’impact sera donc inégal". Un choc attendu, mais qui serait plus important que prévu, estime l’expert, compte tenu du fait que la chaine de valeur des batteries, dont on attendait qu’elle puisse se développer rapidement, peine à se déployer. En cause, la politique industrielle conduite outre-Atlantique, "qui couvre l’ensemble du processus, de l’extraction des matières premières à leur recyclage", alors qu’une telle politique en Europe fait au même moment défaut. 

Deuxième défi, le fait que l’on ignore quel sera le volume de production de véhicules en 2035… ou plus précisément le fait que l’on redoute son effondrement. Tommaso Pardi souligne qu’alors que les différents scenarios tablaient jusqu’ici sur un volume de production plus ou moins inchangé, ce dernier devrait finalement être bien moindre – il l’est déjà de 20% par rapport à 2019, note l’expert –, notamment dans la mesure où "les véhicules électriques sont 30% plus chers", entrainant ainsi "un marché plus petit et une surcapacité" de production, qui renforceront la destruction d’activités et d’emplois. 

Troisième défi, "que nous n’avons pas vu venir, du moins pas de cette ampleur, et pas si vite, le défi chinois". Tommaso Pardi met en lumière un marché chinois qui est à la fois "le plus grand et le plus compétitif" au monde, avec des "entreprises qui dominent le marché grâce à de meilleurs produits, à une gamme plus riche, à une technologie dans les batteries plus avancée, à un système de production bien plus intégré", notamment parce "qu’ayant accès à des batteries moins chères, à un coût de l’énergie et du travail beaucoup plus bas". Et d’avertir : "Ces entreprises vont prendre des parts de marché en Europe, ce qu’elles font déjà, et je ne crois pas qu’il y ait de solution". Il exclut en particulier l’option des barrières commerciales, relevant que "la Chine est un de nos partenaires commerciaux les plus importants […]. Si nous voulons atteindre nos objectifs de 2035, nous avons besoin de leur coopération, de leur technologie, de leurs matières premières". Ce que concède Joaquim Nunes de Almeida, directeur au sein de la DG Grow à la Commission. Si ce dernier voit pour l’heure "le verre à moitié plein" au regard des 5 critères de la route 35, estimant notamment que "nous sommes sur la bonne voie" s’agissant des infrastructures de recharge, singulièrement en Allemagne, en France et aux Pays-Bas (v. notre article du 17 avril), il admet une "mauvaise nouvelle : des risques très élevés de dépendance au niveau des composantes des batteries et des problèmes de sécurité de l’approvisionnement".

Appel à de nouveaux fonds

Autant d’éléments qui conduisent María Chivite, présidente de l’Alliance des régions automobiles et du gouvernement de Navarre, à "appeler le Parlement européen et la Commission à s’engager à assurer le financement et l’aide nécessaires" pour réaliser cette transition. Ou le président de la région des Abruzzes, Marco Marsilio, à demander "un mécanisme de soutien massif" pour ces régions et le "maintien du fonds de transition juste en le dotant de crédits supplémentaires si la future Commission ne revient pas sur l’interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs à compter de 2035". "Nous ne pouvons prendre le risque de créer une nouvelle forme d’exclusion, l’exclusion de la mobilité, pour les citoyens les plus vulnérables qui ne peuvent se payer un véhicule électrique", scande-t-il.

De la nécessité de faire appel à Step 

Pour Nicola de Michelis, directeur au sein de la DG Regio de la Commission, qui insiste par ailleurs sur la nécessité d’avoir un "plan stratégique territorial" en la matière, la balle serait toutefois dans le camp des régions. Soulignant que la nouvelle "plateforme Step" (v. notre article du 3 février 2023) "permet notamment aux régions et aux autorités qui gèrent les fonds structurels de rediriger jusqu'à 15% des ressources disponibles vers des industries et des chaînes de valeur clés qui peuvent contribuer à renforcer l'autonomie stratégique de l'Union européenne", il fait part de sa crainte que cette "opportunité ne passe un peu à la trappe". "Je ne suis pas certain que tout le monde comprenne bien l’opportunité que cela représente", insiste-t-il. Une opportunité… et une menace, le fonctionnaire indiquant clairement que l’espoir d’obtenir de nouveaux fonds lors de la prochaine programmation sera d’autant plus mince si les régions automobiles ne se saisissent pas rapidement de cet instrument. "Je veux vous alerter sur le fait que nous avons de grandes attentes par rapport à la façon dont le programme Step sera utilisé. Nous serons très attentifs aux propositions que les autorités de gestion mettront sur la table entre aujourd’hui et la fin de l’année […]. Nous attendons que les régions confrontées au défi de la transformation de l’industrie automobile et qui gèrent ces ressources montrent que cette direction est leur priorité", précise-t-il. 

Fin de l’argent magique et nécessaire rationalisation des instruments 

Et Nicola de Michelis de marteler : "Beaucoup dépendra du signal que vous, régions automobiles, allez adresser dans les prochains mois. Avec Step, nous voulons vraiment donner le signal que les régions sont capables de concentrer leurs efforts, car les ressources ne sont pas infinies […]. Nous devons démontrer plus fortement que jamais que des choix peuvent être faits. Nous vivons aujourd’hui une sorte de gueule de bois collective en considérant qu’il n’y a plus de problème d’argent. Mais ce n’est pas la situation normale. Nous allons revenir à une situation normale, avec une politique unique d’investissement autour du cadre financier pluriannuel (CFP), qui sera soumis à des pressions […], à une situation où les ressources seront parcimonieuses […], limitées, même pour l’automobile". Le fonctionnaire indique ainsi qu’il ne serait pas surpris par la suppression du fonds pour une transition juste dans le prochain CFP, estimant qu’une telle aide "ne passe pas nécessairement par un fonds dédié". D’autant plus qu’il juge qu’ "il existe aujourd’hui trop d’instruments, une espèce de cacophonie d’instruments qu’il faut rationaliser". Et d’arguer que pour les bénéficiaires eux-mêmes, "essayer de trouver son chemin, de naviguer dans cette complexité est un problème. Nous avons réalisé que trop d’instruments, avec des règles différentes, ce n’est pas simplifier et s’assurer que vos priorités sont bien servies". 

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