les territoires dans les starting-blocks

May 2024 · 6 minute read

"Nous sommes au milieu du gué. Tout est prêt, il faut maintenant transformer l'essai, obtenir la loi et son application." D'après Patrick Valentin, responsable du réseau Emploi-Formation d'ATD Quart Monde et responsable du projet "Territoires zéro chômeur de longue durée", "toutes les forces sociales" qui ont analysé le projet s'y rallient. Lancé depuis plusieurs années, le projet vise à ré-allouer les coûts de la privation durable d'emploi (coûts directs, dépenses ciblées pour l'emploi, type formation, fonctionnement de Pôle emploi, dépenses sociales comme le revenu de solidarité active, coûts indirects, voir encadré ci-dessous), soit environ 15.000 euros par an et par personne, au financement d'emplois répondant à des besoins identifiés sur les territoires, notamment dans les collectivités locales, mais non satisfaits. "Il existe une multitude de besoins non satisfaits et de travaux utiles à la société qui aujourd'hui ne sont pas ou plus réalisés simplement parce qu'ils ne sont que partiellement solvables et donc insuffisamment lucratifs pour le marché classique, précise le document de présentation du projet. Il s'agit de proposer à toutes les personnes privées durablement d'emploi et qui le souhaitent, un emploi un contrat à durée indéterminée au Smic, à temps choisi, et adapté à ses compétences."

Une proposition de loi déposée

Une proposition de loi a été déposée à l'Assemblée nationale le 22 juillet 2015 pour permettre l'expérimentation. Elle devrait être discutée le 23 novembre pour une adoption prévue avant l'été 2016. "L'expérimentation est prévue en plusieurs étapes, avec un maximum de dix territoires sur cinq ans, puis 100 territoires sur les cinq années suivantes et enfin un élargissement à tous les territoires candidats", explique à Localtis Patrick Valentin.
La proposition de loi précise les modalités de l'expérimentation. Un fonds, alimenté par la réallocation des coûts de la privation durable d'emploi sera créé. "Tous les budgets publics (à tous les échelons décentralisés ou national) qui auront été reconnus comme devant bénéficier directement ou indirectement, immédiatement ou à terme, de l'expérimentation locale devront contribuer au financement de ces emplois supplémentaires, sans augmentation de leurs dotations respectives", précise l'exposé des motifs de la proposition de loi, l'expérimentation devant se faire à budgets constants par réallocation. Un décret devra préciser les clés de répartition des contributions publiques sur la base d'une étude économique du coût de la privation durable d'emploi.
Des entreprises conventionnées non lucratives, à créer ou existantes, dont le principal objectif est l'emploi, seront chargées de la création de ces emplois selon les besoins des territoires. Leurs charges d'exploitation seront couvertes par la réallocation du coût de la privation d'emploi, sous forme d'un montant forfaitaire versé par le fonds de financement de l'expérimentation pour chaque chômeur de longue durée embauché, et par leur chiffre d'affaires.
Pour organiser le tout, des comités locaux de l'expérimentation, regroupant l'ensemble des partenaires, seront créés. Ils préciseront les objectifs locaux du projet et ses moyens.

Des premières activités repérées

Proposé initialement par ATD Quart Monde, le projet a vite été rejoint par Emmaüs France, la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars), le Pacte civique et le Secours catholique.
Actuellement, le projet est expérimenté sur cinq territoires (les Deux-Sèvres, la Meurthe-et-Moselle, l'Ille-et-Vilaine, la Nièvre, les Bouches-du-Rhône). Et il avance progressivement.
Dans la communauté de communes Entre Nièvre et Forêts, fortement sinistrée, "les élus ont commencé à contacter les demandeurs d'emploi ; des liens se renouent entre la force politique et les chômeurs", a détaillé Sylvianne Rouffiac, directrice de la mission locale de la Bourgogne nivernaise, lors d'une journée de présentation des avancées de l'expérimentation organisée à l'Assemblée nationale, le 15 septembre. Sur ce territoire qui compte 4.900 habitants, 300 sont demandeurs d'emploi, dont 169 de longue durée. Depuis 2008, l'emploi salarié y a chuté de 10%. "Au vue des premières activités que nous avons repérées, nous aurons plus de travail que de chômeurs sur notre territoire", a assuré Sylvianne Rouffiac. Les activités repérées pour créer des emplois sont souvent liées aux services à la personne, aux services aux entreprises et à l'entretien des jardins et des espaces verts.

Une "grève du chômage" organisée le 15 octobre

Même retour enthousiaste de la part de Philippe Parmentier, président de la communauté de communes du pays de Colombey et du sud toulois, en Meurthe-et-Moselle. "Cela fait plus d'un an et demi que nous y travaillons, nous souhaitons que la loi soit votée rapidement. Nous sommes dans les starting-blocks, il faut nous donner les moyens", a-t-il déclaré.
Pour renforcer cette mobilisation, une journée de "grève du chômage" sera organisée le 15 octobre dans ces territoires. "Nous allons pouvoir voir des chômeurs faire la grève du chômage, c'est-à-dire travailler", détaille Patrick Valentin.
Parallèlement à l'expérimentation en phase de démarrage, les parlementaires investis dans le projet vont poursuivre leur travail de persuasion. "Le texte a beaucoup de chance de passer, le groupe socialiste le soutient dans son ensemble", explique à Localtis Laurent Grandguillaume, député PS de la Côte-d'Or et auteur de la proposition de loi d'expérimentation. Le député compte prendre son bâton de pèlerin pour convaincre.

Emilie Zapalski

collectivités : de Quels coûts parle-t-on ?
ATD Quart Monde a étudié dans le détail l'ensemble des dépenses publiques concernées, qu'il s'agisse de coûts directs (dépenses pouvant être directement reliées à la privation d'emploi du public cible) ou indirects (dépenses induites par les conséquences sociales du chômage). Elle inclut également les "manques à gagner" en impôts et cotisations sociales. Patrick Valentin relève que cette "étude macro-économique sur le coût de la privation durable d'emploi" fournit des chiffres "certainement sous-estimés" dans la mesure où d'autres dépenses ou manques à gagner auraient théoriquement pu être comptabilisés : économies pour la collectivité en prestations familiales sous conditions de ressources, certaines économies en réductions tarifaires mises en place par certaines collectivités liées au quotient familial ou au statut de demandeur d'emploi ou d'allocataires de minima sociaux (centre de loisirs, piscine, médiathèque, transports…).
Si l'Etat et Pôle emploi sont les principaux "financeurs" du coût du chômage de longue durée (36% pour l'Etat, 20% pour Pôle emploi), les conseils généraux contribuent à hauteur de 17%, notamment avec le financement du RSA (RSA socle et part du conseil départemental au RSA activité), mais aussi l'aide sociale aux personnes handicapées, le fonds de solidarité logement, le fonds d'aide aux jeunes, les aides facultatives… L'étude inclut aussi, parmi les coûts indirects relevant du département une part de l'aide sociale à l'enfance (placements et mesures éducatives), sachant par exemple qu'il "semble raisonnable de considérer que 25% des placements seraient évitées si toutes les personnes privées durablement d'emploi pouvaient accéder à un emploi stable et adapté à leurs contraintes familiales".
Les régions et les communes (et EPCI) ne représenteraient chacune que 1,5% des dépenses induites par le chômage de longue durée. A l'échelle du bloc local, il s'agit par exemple des aides facultatives des Ccas et Cias ou encore des réductions sur la restauration scolaire en fonction du quotient familial, sans oublier toutes les dépenses des collectivités liées aux structures telles que les maisons de l'emploi et les missions locales.
C.M.
 

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